Aujourd’hui, de nombreux éleveurs souffrent de la dévalorisation de leur statut. Alors peut-être que si l’on veut redonner de la valeur aux producteurs de lait, il faut commencer par rendre ses lettres de noblesse à la vache laitière. Comprendre sa nécessité dans notre système agricole et valoriser ses multiples facettes.
J’ai donc souhaité donner la parole à mes vaches laitières. Je les côtoie au quotidien et elles font partie de ma vie. Mais je me rends compte qu’elles sont mal connues du grand public. Alors humblement, je vais essayer de leur donner la parole.
« Moi la vache laitière, j’ai toujours fait partie de votre histoire, de votre décor. Jusqu’à peu, j’étais indissociable de l’agriculture suisse, source de richesse, j’ai nourri vos corps et votre imaginaire. Mais aujourd’hui, mon utilité est remise en question, mon élevage critiqué et mon lait ne fait plus l’unanimité dans votre alimentation. Alors quoi ? Moi, la vache laitière, un indésirable, un nuisible ? Penchons-nous sur quelques notions agronomiques avant de tirer des conclusions hâtives et prenons le temps d’étudier toutes mes fonctions.
Historiquement, j’ai nourri la population, développé l’économie alpestre, fourni de l’engrais de ferme, dessiné les paysages que vous connaissez et défriché des territoires inhospitaliers. Je suis à l’origine, par mon lait, d’un savoir-faire unique qui se décline en une multitude de spécialités fromagères, je fais partie intégrante de votre patrimoine, de vos traditions. Aujourd’hui encore, je suis à l’origine d’une importante chaîne de valeur. Je génère des revenus pour l’agriculteur, mais aussi, par mon lait et ma viande, pour l’industrie laitière et la production carnée. Indirectement, je crée de l’emploi et des revenus pour une multitude de professionnels, qu’ils soient vétérinaires, installateurs de matériels de ferme, fonctionnaires, travailleurs du bâtiment ou encore spécialiste en nutrition animale ! De plus, je joue un rôle important dans le maintien d’un territoire ouvert, en luttant contre l’embroussaillement et les feux de forêts, principalement en montagne. Je participe au maintien de la diversité de nos paysages, ce qui est bénéfique à la biodiversité. Je favorise l’occupation décentralisée du territoire par le maintien d’une activité économique en régions périphériques et, accessoirement, je participe à l’industrie touristique.
Mais vous découvrez aussi aujourd’hui que suis à l’origine d’une partie des émissions de gaz à effet de serre, que mon lait peut être à l’origine de maladies digestives et que beaucoup de surfaces agricoles (ici et ailleurs) sont utilisées pour mon alimentation, alors qu’une partie de ces surfaces pourraient être mieux valorisées si elles servaient à produire de la nourriture pour les humains. Vous découvrez la déforestation et l’élevage intensif, l’érosion du sol et sa désertification, l’utilisation abusive d’antibiotiques et les résistances qui en découlent ».
Mais qu’en est-il en Suisse ? Suivons-nous le même chemin ? Tout d’abord, quelques chiffres.
En 2022, l’économie laitière représentait 23,7 % de la valeur de la production agricole totale. On comptait encore 17’531 producteurs de lait en Suisse, dont 8’651 dans les régions de montagne, 8’880 dans la région de plaine et 1’933 dans des exploitations d’estivage. La production moyenne de lait par exploitation a atteint 184’671 kg, la performance laitière moyenne a atteint environ 7’000 kg par vache et par année et le nombre moyen de vaches laitières par exploitation était de 26.
En comparaison, en Europe, la production moyenne par exploitation atteignait 294’393 kg de lait, le nombre moyen d’animaux était de 41 vaches et la performance moyenne par animal atteignait 7’200 kg de lait.
Nous constatons donc que la production laitière suisse reste à échelle humaine, dans de petites et moyennes structures, généralement en main familiale. Pour moitié, la production laitière est pratiquée en région de montagnes et nombre de vaches laitières de plaines montent en été dans les exploitations d’estivages. Cette répartition géographique maintient une occupation décentralisée du territoire et permet de valoriser des surfaces non labourables. En effet, l’altitude et la topographie de la Suisse font que 60% de notre surface agricole utile ne peut être valorisée qu’au travers d’herbage. Et afin de transformer ces herbages en calories assimilables par l’humain, il est nécessaire que des ruminants les consomment et les transforment en lait et en viande. Cela participe à notre sécurité alimentaire, qui je le rappelle, n’avoisine que les 50%. De plus, la vache laitière va valoriser nombre de sous-produit de l’alimentation humaine, comme le tourteau de colza (sous-produit de la production d’huile), drêche de brasserie (sous-produit de la production de bière), mélasse (sous-produit de la production de sucre) ou encore racine d’endive (sous-produit de la production d’endive).
Parlons maintenant des gaz à effet de serre 1.
Les vaches laitières, en digérant, rejettent 3,8% des éq. CO2.
« En ruminant, je produis du méthane qui entre dans le cycle du carbone, ce qui nuit à notre climat. Mais je fais aussi partie de la solution. En effet, mes déjections permettent de produire une énergie renouvelable, le biogaz. Cette source d’énergie est encore largement sous exploitée aujourd’hui mais les avancées technologiques vont permettre à l’avenir de mieux valoriser cette ressource. De plus, les prairies permanentes, donc non labourées et utilisées pour mon affouragement, sont des puits de carbone. Elles permettent de séquestrer de grandes quantités de gaz à effet de serre. Je vais également produire de grandes quantités d’engrais de ferme. Cette matière organique est nécessaire à la fertilisation des sols et permet de diminuer l’apport d’engrais de synthèse. Les engrais de ferme participent également à la préservation de la qualité du sol, en apportant matière organique et humus, nécessaire au maintien d’un sol vivant.
En conclusion, je dirais que, de par mes multiples fonctions, et pour autant que mon élevage reste à taille humaine, je fais partie d’un cercle vertueux, nécessaire à une agriculture résiliente et diversifiée. Ma production de lait et de viande, si elle est basée sur des herbages non assimilables par l’être humain, entre dans un cycle durable, valorisant des ressources renouvelables. Alors je crois que finalement, moi, la vache laitière, j’ai encore toute ma place dans notre système agricole ».
1 Source : www.swissmilk.ch